Les Pionniers

« Chaque homme a un paysage intérieur.
Il y en a qui sont pour la mer, la montagne, la campagne ou même le désert.
Chacun a un paysage mental qui organise son propre rapport au monde,
Chacun a son tableau intérieur.
Paul Virilio

Avec ce dernier projet que j’ai intitulé « Les pionniers » le sentiment de fragilité humaine et de fugacité de la vie va s’exprimer à travers le dialogue entre l’humain et l’espace naturel. Le projet démarre en Islande en 2020, et se prolonge en 2021 sur le plateau de l’Aubrac et 2022, sur l’île d’Aix. Ce sont des lieux de faible densité, qui donnent une sensation d’être coupé du reste du monde, et qui ne semblent pas subir l’activité humaine frénétique. On y ressent physiquement et fortement ce rapport entre notre présence au monde et la puissance de l’espace naturel, des éléments. Ce sont des lieux dans lesquels on peut ressentir à quel point la nature peut être d’une extrême puissance, et nous, tout petits à côté, à quel point l’on peut disparaitre de la surface de la Terre en une fraction de seconde. Mais malgré ce sentiment d’extrême fragilité, nous éprouvons le sentiment de faire partie d’un grand tout : nos existences prennent là un sens véritable.

Mes proches et ma fille viennent poser dans les images. Ils y incarnent la vie tout en introduisant une dimension fictionnelle. Dans Les pionniers, les personnages ne sont pas présents dans toutes les images, je mêle des représentations de fragments de lieux géographiques, éléments naturels ou vestiges d’une activité humaine révolue, et des apparitions ponctuelles de l’humain. Le sentiment d’absence/présence va davantage apparaitre avec la juxtaposition des images. Le déplacement du regard d’une image à l’autre créée un mouvement, comme une lecture, faisant émerger une forme de récit sur les liens entre l’humain traversant ces espaces comme métaphore de la traversée de la vie, de la naissance à la mort.

La narration qui prend forme par un élagage des clichés, est assemblage de cartes et d’étoiles pour retrouver demain le chemin du bonheur. Et chacun, en tant que spectateur, peut faire entrer cette séquence comme guide de son propre avenir, comme on décide un jour de refaire à pied le mythique chemin de Compostelle. Ici, la photographie pave le chemin qui conduit vers les magies blanches. Elle est bordure du bois, hors les murs. La photographie rend visible ciels, racines, rochers. Elle défriche le devenir des pionniers. « L’âme de l’animal montre les dents au destin monstrueux. » (Hugo von Hofmannsthal). Par l’objectif, on approche le bison. Ce roc de poils n’est plus à craindre dans le grossissement de la focale. On le touche, on le caresse, on le devient. Ici, la vie sauvage est à portée : allumer à la nuit le feu, hurler avec le loup, chanter avec le cygne pour faire alliance sous la lune d’or, être une pierre lancée depuis le kayak qui coule doucement vers le lit de la rivière, scruter le vautour qui tournoie, porté par le courant ascendant des gorges.

La série « Les pionniers » n’est pas récit historique, mais fable commençant implicitement par un « il était une fois » qui en réalité enseigne le « il sera mille fois ». Elle est en soi, la promesse d’un avenir de bonheur. Les pionniers pistent les mystères de l’Ouest. On franchit la bordure de l’ordinaire : « Tu deviens taureau-orage, notre fille, cygne-lac, je deviens guêpe-orchidée. »

J’ai choisi d’utiliser librement la photographie noir et blanc en expérimentant des images au grain éclaté ou couleur avec des pellicules périmées ou poussées, l’objectif étant toujours de se décoller d’une réalité pour tendre vers une représentation plus onirique, vers une rêverie photographique.
Il s’agit d’une errance qui peut emmener vers une contemplation ou un espace fictionnel suivant le regardeur, qui tend à questionner sur la place et le temps de nos existences sur la planète Terre et dans l’univers, et à nous ramener vers une certaine humilité. Comme une vanité, un mémento mori, « Souviens-toi que tu es mortel et comme la vie est précieuse. »

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